Crise du Covid-19 :
vers un renouveau de la performance des bureaux ?
Interview de Benoît Delattre, Directeur de Strategic Consulting chez JLL. Il accompagne la transformation des entreprises vers un pilotage de leur immobilier d'exploitation au plus près des réalités de leur activité d'aujourd'hui et de demain..
"Demain être performant rimera avec être agile. Il s’agira d’intégrer la flexibilité dans le portefeuille immobilier grâce à des baux flexibles, des options de sortie faciles à actionner, ou des solutions de coworking permettant de s’adapter à l’évolution des besoins en matière d’espaces. Il faudra pouvoir accroître ou réduire la voilure immobilière à la demande, en fonction des besoins".
Dans quelles mesures la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser va-t-elle changer l’appréciation de la performance dans nos bureaux ?
La performance des bureaux a longtemps été résumée à la réduction de leurs coûts d'exploitation et d'entretien. Aujourd'hui, les entreprises ont conscience que l’environnement de travail constitue un levier incontournable d’attraction et de rétention des talents, et un accélérateur de la performance des collaborateurs. La crise du COVID-19 amplifie évidemment cette tendance en questionnant notre façon de consommer l’immobilier : les inefficiences immobilières qui étaient acceptées hier ne le seront plus demain. Le confinement, accompagné du déploiement massif du travail distance, met en lumière les enjeux technologiques, de collaboration et de cohésion des salariés. Les standards de performance d’hier sont à oublier !
Les entreprises étaient-elles préparées à une telle crise ? Comment pouvaient-elles l’anticiper et comment doivent-elles la gérer aujourd’hui ?
Personne n’était préparé à une crise d’une telle ampleur. Si beaucoup d’entreprises avaient mis en place des Plans de Continuité des Activités (PCA), fondés sur l’identification de sites de repli, rares sont celles qui s’étaient préparées à un scénario de mise en télétravail de masse. Pour les décideurs immobiliers, cela a impliqué de pouvoir très rapidement reconfigurer l’environnement de travail afin de maintenir l’activité de l’entreprise tout en protégeant les salariés. Les domiciles ont fait office de sites de repli, depuis lesquels les collaborateurs se sont mis à travailler. Il a fallu également garantir le déploiement des technologies adéquates pour la collaboration à distance, avec le niveau de formation et de cybersécurité indispensables.
Et comment rebondir après cette crise ? La performance ne sera plus jamais la même ?
Effectivement, demain être performant rimera avec être agile. Il s’agira d’intégrer la flexibilité dans le portefeuille immobilier grâce à des baux flexibles, des options de sortie faciles à actionner, ou des solutions de coworking permettant de s’adapter à l’évolution des besoins en matière d’espaces. Il faudra pouvoir accroître ou réduire la voilure immobilière à la demande, en fonction des besoins.
La lutte contre l’obsolescence deviendra elle aussi un sujet prioritaire. Le parc immobilier devra intégrer la dimension de durabilité permettant de répondre aux attentes actuelles et futures des utilisateurs, d’être modulable et réversible pour s’adapter aux nouveaux modes de travail, aux variations d’effectifs et aux réglementations à venir. Ces sujets seront d’autant plus importants en sortie de crise, comme celle que nous traversons actuellement. Les exigences des salariés vont nécessairement évoluer en termes de typologies d’espaces de travail, d’outils ou de niveau de services - faisant écho au confort de travail qu’ils auront pu expérimenter à leur domicile. Les m² seront eux aussi requestionnés, on évoluera certainement vers une empreinte plus réduite et responsable. Les entreprises les plus résilientes seront celles qui auront la meilleure capacité à rebondir.
Quel lien entre ces enjeux de résilience et la capacité de la direction immobilière à innover ?
Afin de bâtir une proposition de valeur immobilière durable, il faudra se montrer innovant. Les équipes immobilières devront être capables d’intégrer de nouveaux profils et de nouvelles compétences pour se remettre à niveau. Si je reprends l’exemple de la crise actuelle, les directions immobilières ont dû développer, dans un laps de temps très court, des solutions de travail à distance de masse tout en assurant le SAV. A la sortie de cette crise, le télétravail ne sera plus sujet au débat, il s’agira de l’adopter pour de bon ! En revanche, on observe aujourd’hui les limites du 100% remote, et sa nécessaire complémentarité avec le travail au sein des murs de l’entreprise. Les Directions Immobilières seront challengées sur les typologies d’espaces qu’elles proposent afin d’atteindre le parfait équilibre entre le home-office et le travail au bureau.
Vous avez mentionné à plusieurs reprises le télétravail, pour le moment on ne mesure que la performance au sein des murs de l’entreprise. Est-ce suffisant ?
Il faut élargir l'angle de vue bien évidemment. Demain, il faudra adopter une vision holistique, intégrant les bureaux physiques et virtuels. Il faudra pouvoir capter la performance de l’environnement de travail dans son ensemble : au sein des bureaux, comme depuis un site distant. L’enjeu sera de dupliquer les mesures “dans l’espace” pour les adapter au travail en mobilité : sérendipité, absentéisme, taux de collaboration... Il faudra aussi parvenir à capter les modalités du travail distant afin de le monitorer : performance individuelle, satisfaction vis-à-vis de l’équipement technologique, efficacité de la collaboration virtuelle...
Et pour finir, cette crise remet complètement en perspective la notion de santé au travail, qu’en pensez-vous ?
Avec l’épidémie du Covid-19, des MedTech ont vu le jour, notamment en Asie, permettant de détecter à grande échelle des salariés présentant des symptômes d’alerte, au travers de la mesure de leur température. L’avenir nous dira si ce type d’outils pourra un jour se démocratiser dans nos bureaux – au motif de préserver la santé des salariés. Demain, venir au bureau avec un masque ne sera plus lié à une soirée déguisée ! Les collaborateurs ne se feront plus la bise et trouveront d’autres moyens de se saluer ; les sociétés de ménage passeront 3 fois par jour... C’est toute la stratégie immobilière qui va changer.
Interview de Benoît Delattre, Directeur de Strategic Consulting chez JLL France