Albert Malaquin

Directeur Général Groupe
Digitalisation et Innovation d’Altarea Cogedim
Tout le monde parle des Etats-Unis et leurs malls, où la vacance commerciale et les fermetures sont de plus en plus nombreuses, avec pour principale cause annoncée la montée en puissance d’AMAZON.
Pensez-vous que le e-commerce représente une menace pour les centres commerciaux ?

Pour moi, pas du tout.

Mais tout d’abord abordons le e-commerce que nous connaissons bien puisque nous avons été propriétaires de RUE DU COMMERCE entre 2012 et 2016.

Le e-commerce est un monde où il est difficile de gagner de l’argent, où les concurrents ne sont qu’à un clic, où l’on ne paye pas les services comme la livraison à domicile.

Si le e-commerce est un outil formidable, il n’en demeure pas moins relativement coûteux : contrairement à un réseau physique traditionnel, une enseigne ne dessert plus 400 ou 500 adresses (magasins), mais doit gérer plusieurs millions d’adresses en livrant directement les consommateurs. Le coût logistique est donc élevé, et pour certaines enseignes, il peut être finalement rentable d’ouvrir un réseau de points de ventes physiques plutôt que de livrer directement les clients. A ce titre, l’optimisation des flux logistiques l’emporte et reste une priorité : le plus avantageux pour une enseigne est d’inciter le client à venir retirer les articles commandés sur le web dans ses magasins, en utilisant la surface de vente physique comme un relai (méthode du « Click & Collect »). Le « Click & Collect » confère l’avantage aux consommateurs de contourner le problème de l’horaire de livraison chez eux, en se faisant livrer directement sur leurs lieux de passage, par exemple au pied de leur travail ou encore dans une gare sur leur trajet quotidien.

Certaines enseignes l’ont d’ailleurs bien compris et sont prêtes à payer très cher pour bénéficier d’un emplacement dans une zone de fort flux puisque le passage en magasin pour récupérer un article acheté sur le web est l’occasion de déclencher un achat en magasin. Je peux par exemple vous citer la FNAC de la Gare de l’Est qui tire près de 40 % de son CA au travers du retrait d’articles commandés sur leur site internet.

Si l’on se recentre sur les centres commerciaux, il est vrai que les performances sont mitigées depuis plusieurs années. Pour autant, les visiteurs sont de plus en plus qualifiés, c’est-à-dire qu’ils se déplacent dans les centres commerciaux pour une raison précise, par exemple pour manger au restaurant, aller faire ses courses, etc. et de moins en moins pour flâner.

L’un des avantages les plus conséquents du centre commercial, que n’apporte pas le web, est l’expérience shopping : créer, au travers d’une promenade shopping, de l’émotion et du lien.

Le centre commercial remplit aussi une fonction de socialisation. Nous avons tous besoin et recherchons tous le contact social. Je vous donne un exemple : vous allez préférer dépenser 15 € pour vous rendre dans un cinéma et dîner entre amis, plutôt que de regarder un film loué en VOD chez vous, dans votre canapé. L’expérience, au travers du lien social, sera beaucoup plus marquante… Le lendemain, vous allez sûrement discuter de votre soirée, chose que vous ne feriez sûrement pas pour le film que vous avez regardé chez vous.

Pour ce revenir à l’exemple des USA, l’impact d’AMAZON est plus marqué qu’en France car il est beaucoup plus implanté sur le territoire américain qu’il ne l’est chez nous. Par ailleurs, si on regarde de plus près les malls qui sont mal en point, on constate qu’ils se localisent en périphérie des villes… ceux situés en centre-ville en revanche fonctionnent bien, preuve que le centre-ville attire les clients et aux US le centre-commercial peut également faire office de centre-ville.

En d’autres termes, je ne pense pas que le e-commerce soit une menace pour les centres-commerciaux car il ne peut apporter l’expérience, le lien social, si chers aux consommateurs.

D’après vous, comment les centres commerciaux font-ils pour s’adapter au e-commerce ?
Quelles stratégies ALTAREA COGEDIM a mises en place pour s’adapter ?

Toujours dans cette notion d’expérience et de relations humaines, intégrer du divertissement et de la scénarisation est très bénéfique, avec la mise en place d’ateliers, de démonstrations ou d’évènements…

A titre d’exemple, dans notre centre « Bercy village » il n’y a pas moins d’une centaine d’évènements chaque année : par exemple nous avons créé une animation autour du Beaujolais nouveau. Pour cela, nous avons fait venir de la paille, des poules et bien sûr du Beaujolais nouveau, et organisé des dégustations de Beaujolais… Je suis certain que le client parlera de sa dégustation car il aura vécu une véritable expérience, cela n’aurait, à mon avis, pas été le cas s’il avait fait une simple dégustation chez un revendeur. Autre exemple, nous avons fait venir le pâtissier Cyril Lignac dans le cadre d’un évènement « Show-colat » sur notre centre « Cap 3000 ». Plus de 5 000 personnes ont fait le déplacement, ça a été un réel succès, à tel point que le trafic était perturbé sur l’autoroute.

L’intégration de services permet également aux centres commerciaux de s’adapter. Je pense par exemple à la présence de chasseurs dans certains centres aux Etats-Unis, qui garent votre voiture, récupèrent vos achats et vous les rendent au moment où vous partez du centre. Nous réfléchissons à mettre en place ce type de service en France, car il marche déjà très bien aux Etats-Unis.

Point également très important, le centre commercial doit être en adéquation, à l’écoute et doit répondre aux besoins spécifiques de sa zone de chalandise. On sort du format standardisé répliqué à l’identique pour entrer dans un univers créé sur mesure pour répondre aux attentes spécifiques des clients. Par exemple, nous avons, dans notre centre « Cap 3000 », implanté la CPAM car nous avons constaté que dans cette zone la population était plus âgée… Et ça fonctionne ! Attirer le client est le nerf de la guerre car de manière plus générale, là où l’on passe, et là on l’on se réunit, ce sont les endroits qui fonctionnent le mieux en commerce.

Enfin dans le point de vente d’aujourd’hui, l’aspect matériel devient presque annexe si un produit ou une taille ne sont pas disponibles dans l’instant, on le fait venir ou on vous le livre, ce qui compte est de créer l’émotion, l’adhésion autour d’un produit ou d’un concept. Le commerce physique est en fait l’opposé du côté utilitaire du web.

Internet est un moyen, et non pas une fin. C’est un outil sur lesquels les centres commerciaux peuvent s’appuyer : je pense par exemple aux évènements qui auparavant étaient annoncés sur un flyer déposé dans les boîtes aux lettres ou sur des panneaux le long des autoroutes, désormais on utilise les réseaux sociaux pour les relayer.

Dans un contexte où le e-commerce connaît un franc succès et où les modes de consommation tendent à changer, comment imaginez-vous le centre commercial de demain ?

Le shopping est toujours une expérience pour le client et le sera toujours dans le futur. En revanche, le centre commercial de demain sera plus agréable encore, plus facile car il sera de plus en plus assisté. On peut faire un parallèle avec les automobiles qui sont de plus en plus automatisées, et qui facilitent grandement notre conduite.

Pour les futurs projets, en tant que promoteur, nous intégrons dès la conception la notion évènementielle qui permettra de gérer de manière très fluide l’agenda du centre dans le futur. Nous intégrons également dans nos cahiers des charges une approche multi-usages de nos espaces. Le centre commercial est un lieu de shopping bien évidemment, mais il peut être un lieu administratif, de divertissement. Nos développements sont de plus en plus complets pour répondre à des usages de plus en plus variés.