Article

Comment l'immobilier fait-il face aux défis actuels ?

Les entreprises doivent aujourd'hui évaluer si leur portefeuille est encore adapté à leurs besoins. Découvrez l’analyse de notre expert Benoît Delattre, Directeur Strategic Consulting

Gérer un portefeuille immobilier, c’est trouver le juste équilibre entre l’efficacité et la stabilité sur le long terme, et l’agilité à court terme.
Les décisions relatives au portefeuille doivent pourtant tenir compte des tendances actuelles en matière de travail hybride et de développement durable, mais aussi prendre en considération les nouvelles aspirations des salariés et les besoins de l’activité. Il faut aussi adopter des espaces qui reflètent les valeurs de l’entreprise.

Benoît Delattre, Directeur Strategic Consulting chez JLL, nous fait part des défis majeurs auxquels sont confrontés les dirigeants et les directions immobilières aujourd’hui.

 

La pandémie a définitivement transformé notre façon de travailler. Mais quel a été son impact sur les décisions des entreprises en matière de portefeuille immobilier ?

La pandémie a généré de nouveaux défis et opportunités, cela ne fait aucun doute. Beaucoup d’entreprises ont rapidement annoncé des plans de restructuration, ce qui a grandement simplifié les décisions pour redimensionner leur portefeuille. Pour d’autres, le problème de l’espace nécessaire aux activités est devenu une question complexe à plusieurs variables qu’ils essayent toujours de valider.

En fin de compte, trois grandes catégories d’entreprises ont émergé au cours de l’année dernière : celles déjà agiles qui avaient déjà mené une optimisation de leur parc et qui ajustent désormais leur stratégie ; celles qui étaient en pleine évaluation de leurs besoins et qui accélèrent leurs projets ; et celles qui souhaitent modifier radicalement leurs portefeuilles et pensent que c’est le moment idéal pour enclencher leur transformation.

 

Il paraît difficile de prendre des décisions sur les surfaces en ce moment. Nous avons tout entendu, du retour définitif au bureau jusqu’au télétravail permanent. Comment les entreprises indécises parviendront-elles à évaluer correctement leurs besoins dans un tel contexte ?

Il y a un changement complet de paradigme. Historiquement, elles prenaient les décisions de portefeuille uniquement en fonction de leurs effectifs et de leur taille existante. Aujourd’hui, les entreprises, encore nombreuses indécises, doivent déterminer en quoi leur immobilier soutiendra leur stratégie et leurs ambitions de développement.

Elles devront se pencher sur leurs lignes de produits ou de services, la position de ces derniers dans leur cycle de vie et leurs ambitions futures - par exemple un département spécifique destiné à croître ou un incubateur, et le type d’espace nécessaire à cette activité. Une compréhension fine des fonctions et des profils de collaborateurs est également nécessaire pour préserver la performance au quotidien, et donc la valeur de l’entreprise in fine.

Les entreprises qui choisissent d’intégrer le télétravail à leur stratégie devront s’interroger sur les conditions de sa mise en place pour offrir la flexibilité attendue par les salariés, tout en utilisant au mieux les ressources immobilières. Dans cette nouvelle configuration, la gestion de l’occupation devient essentielle. Les solutions technologiques de pilotage et d’optimisation de l’utilisation de l’espace fleurissent sur le marché. Elles permettent entre autres de vérifier l’espace disponible chaque jour et de réduire la surface vacante à long terme.

 

Il existe une vraie corrélation entre des salariés plus agiles et un portefeuille plus diversifié. Quel est l’impact du flex-office sur le portefeuille immobilier ?

Dans le public comme dans le privé, toutes les organisations sont en quête de flexibilité. Les espaces flexibles ont évidemment leur place dans un portefeuille hybride et plus diversifié qui mêlerait des espaces phares dédiés à la collaboration et à l’interaction, et des espaces plus flexibles pour satisfaire les besoins des collaborateurs de plus en plus agiles et les pics de demande. Le pic du lundi continuera de poser un problème, et le taux de flex-office ne suffira pas à le résoudre, tant que les pratiques, notamment celles des managers, ne changeront pas.

 

Les entreprises jouent depuis longtemps sur le prestige de leurs bâtiments pour attirer les talents. Pourtant, de moins en moins de salariés se rendent au bureau cinq jours par semaine. Le siège social emblématique, stratégiquement placé au cœur d’une ville attractive, serait-il en voie de disparition ?

Non, bien au contraire. Un bâtiment « premium » en plein centre-ville reste un levier important pour les sociétés qui souhaitent attirer et fidéliser les meilleurs éléments. Pourtant, toutes n’ont pas des besoins identiques en termes de recrutement.
Ce qu’une entreprise fait et comment, en matière de culture ou de management, est tout aussi important que la localisation des bureaux et les fonctionnalités dont ils disposent.

 

Le développement durable fait aujourd’hui partie des priorités des entreprises. Quel rôle jouent actuellement les réflexions autour de la neutralité carbone ?

L’aspect financier est resté pendant longtemps le principal facteur dans les décisions immobilières. Aujourd’hui, les coûts et l’empreinte carbone sont sur un pied d’égalité. La mise en œuvre de mesures de réduction des coûts est toujours stratégique. Néanmoins, les salariés sont bien plus sensibles aujourd’hui aux actions qui visent à réduire l’empreinte carbone et à limiter les déchets. C’est une raison de plus de réinventer l’implantation immobilière. De plus en plus d’entreprises prennent conscience des bénéfices d’une telle stratégie, tant financièrement que pour leur réputation.

Le développement durable prend une ampleur considérable. Depuis un an, ce critère passe souvent avant le coût dans les discussions avec dirigeants. Beaucoup d’entreprises savent que les vieux bâtiments représentent un coût direct (coûts d’exploitation plus élevés) et indirect (impacts sur l’image et la productivité des collaborateurs) à long terme. Certaines décident alors de partager des installations avec d’autres sociétés plutôt que d’occuper seule des bureaux, car elles estiment que les avantages offerts par un bâtiment plus durable valent bien plus que le prestige apporté par un logo sur une porte d’entrée. De plus, la politique de développement durable fait pencher la balance chez les jeunes générations.

 

Nous sommes aujourd’hui en pleine période de restructuration. Mais peut-on dire qu’une décision prise en 2021 sera pertinente en 2025, voire en 2030 ? Quel sera l’impact sur la durée des baux commerciaux ?

On pourrait penser que la durée d’engagement des baux sera raccourcie pour mieux répondre à la problématique de l’agilité du portefeuille. Certaines entreprises adoptent une approche passive avec des renouvellements à très court terme, mais il est certain qu’à moyen terme, la durée des baux ne sera pas impactée outre mesure en Europe.

N’oublions pas que tout investissement se doit d’être rentable. Les bailleurs et les locataires ne pourront investir dans des programmes de rénovation englobant à la fois l’expérience de travail des salariés et le développement durable que s’ils bénéficient de la stabilité des baux de longue durée. Les bailleurs et les locataires ont plus encore intérêt à collaborer pour optimiser les espaces disponibles et les valoriser au maximum. Les bailleurs proposent d’ailleurs de plus en plus des solutions répondant à ce besoin de flexibilité des entreprises. Lorsqu’il existe trop d’incertitudes, le marché de solutions flexibles, telles que le coworking, qui jouit d’une maturité rapide, offre une excellente solution pour gérer un volant de flexibilité, parfois nécessaire.